HISTOIRE DE LA LAMINERIE D'ETAIN

PERIODE 1834 1889

Le site a accueilli une laminerie d’étain entre 1834 et 1889. A quoi servait l’étain? Qu’est- ce qu’on a fabriqué au petit Poigny ?  Quels ont été les propriétaires ? Pourquoi tout s’est arrêté en 1889 ?

A quoi servait l’étain?

L’étain entre dans la fabrication des miroirs au mercure au XVème siècles.

C’est à Venise  qu'on y a  inventé le procédé du miroir au mercure.Miroir de venise

    Miroir de Venise

La technique consiste à aplatir à l'aide d'une pierre, des morceaux de verres provenant de cylindres de verre soufflé. Une fois bien aplanies, on dépose sur ces plaques de verre plusieurs couches d’étain, qui sont par la suite poncées afin d'obtenir une surface lisse. Enfin, on recouvre d'une couche de mercure, là encore lissée et aplatie à l'aide d'une pierre et de tampons de laine.

Les miroitiers de Venise sont tenus au secret et enfermés afin de ne pas laisser échapper la précieuse méthode de production, jalousée de l'Europe entière. Prétextant des risques d’incendie, la ville finie par les parquer sur l’île de Murano, d'où la grande réputation des verreries de Murano jusqu'à aujourd'hui. Quiconque rentrerait, sortirait ou vendrait le secret serait exécuté.

Malgré tous les efforts de Venise, la technique fut victime d'un intense espionnage industriel et rapidement quelques miroitiers exportèrent leur savoir-faire. Colbert envoya lui-même des espions dès 1660 et en 1672, la France de Louis XIV est en mesure d’assurer elle-même la production de miroirs de bonne qualité et interdit alors l’importation vénitienne. La politique de Colbert & du Roi Soleil met l'accent sur la production française, multipliant les manufactures afin de favoriser le commerce intérieur.

L'un des exemples les plus célèbres de cette production française est bien entendue la Galerie des Glaces du Château de Versailles et ses 357 miroirs au mercure. C'est à la manufacture de Saint-Gobain, fondée en 1665, qu'on doit cette prouesse. Ils utilisent la technique du coulage des glaces à plat à partir de 1684, qui facilite grandement l'opération. Puis, dans les années 1690, c'est la technique du feuilletage dite du verre laminé, qui fait son apparition. Elle permet des réalisations plus résistantes et plus grandes.Galerie des glaces

Aujourd'hui 80 % des miroirs de la galerie des glaces sont encore d’origine, on les reconnaît au fait qu’ils ne sont pas biseautés. Ils attestent que la nouvelle manufacture française est capable de ravir à Venise le monopole des miroirs, alors objets de grand luxe. Ces miroirs connaissent une grande mode de décoration des intérieurs sous Louis XIV.

Qu’est- ce qu’on a fabriqué au petit Poigny ?  

 La France ne possède pas de mines d’étain. Celui dont elle se sert en 1844 est importé d’Angleterre ou des Indes à hauteur de 1000 à 2000 tonnes/an. On l’emploie principalement à l’étamage des ustensiles de cuisine, des glaces et à la fabrication de poterie d’étain. A l’exposition industrielle de 1844, Mr Robert, le propriétaire de la laminerie de Poigny  a exposé des feuilles d’étain. Ces feuilles destinées à l’étamage des glaces sont tellement bien finies que la manufacture de Saint-Gobain a renoncé à fabriquer elle-même celles dont elle a besoin pour la fabrication des miroirs au mercure et que les Anglais trouvent avantage à les acheter en France, malgré les droits de douanes  à l’importation. Comme le métal est  fusible et malléable, on commence par le fondre en plaques minces jusqu’à obtenir une épaisseur de 0,1 mm. Ensuite, on superpose plusieurs feuilles ployées préalablement en deux, qu’on recoupe, qu’on re superpose et qu’on  martèle au total de 1000 à 1500 fois jusqu’à obtenir une paisseur de 0,05, voire 0,01mm[1]. On juge par là de la difficulté que présente l’opération quand ces feuilles ont des dimensions de plusieurs mètres. Celles qu’a exposées M Robert successeur de Mr Clancan, sont de grandes dimensions, bien égales, homogènes, tout à fait exempte de ces défauts qui produisent des tâches sur les glaces, quand le mercure pénètre l’étain.

Exposition 1844

En 1878, on trouve d’autres précisions sur la laminerie du Petit Poigny dans le rapport sur l’exposition industrielle.

L’usine de Petit Poigny occupe 40 ouvriers et ne possède que 25 chevaux de force, correspondant probablement à la puissance du moulin et un laminoir. On y fabrique environ 120 tonnes d’étain battu pour glace, empaquetage de chocolat, surbouchage des vins de champagne. Mr JJ Laveissière, le propriétaire du petit Poigny expose à Paris des lingots d’étain raffinés, préparés pour la fabrication des feuilles servant à l’étamage, de spécimens de feuilles mesurant 3,25mX4,5m pesant 5,9 kg.Moulin  

 

Les maisons d ouvriers            

 

Le moulin fait tourner les presses                                                                                                       Les logements ouvriers au fond  à droite en 1871   

 

 

 

Quels ont été les propriétaires ?

Les Moulineaux ont changé de main 3 fois entre 1834 et 1889, témoignant par-là de la dynamique  des transformations  industrielles. Mr Legrand est doreur de métaux en 1833 lorsqu’il achète le site, qu’ il revend à Mr Clancau en 1839. 2 ans après,  le site est racheté par Mr Robert, affineur de métaux. Mr Laveissière, propriétaire de plusieurs usines rachète le site en 1881 en même temps qu’il crée la Société industrielle et commerciale des métaux avec un homme qui aura un destin national, Eugène Secrétan.

Eugene secretan

Pierre Eugène Secrétan

Né en 1836, cet autodidacte talentueux éprouva, dès son plus jeune âge, une fascination pour le cuivre et grâce à une volonté farouche, doublée d’une intelligence exceptionnelle, il se retrouva très vite dans les années 1881-1886, à la tête d’une société métallurgique rivalisant avec les entreprises anglaises : la « Société industrielle et commerciale des métaux ».

 Ce « Napoléon du cuivre », au sommet de sa gloire et au savoir-faire reconnu va tenter de prendre le contrôle du marché mondial du cuivre, détenu jusque-là par les Anglais. Hélas, cette opération ambitieuse, pour le moins hasardeuse, sur le cours des cuivres va se terminer par un échec retentissant en 1889 : liquidation judiciaire de la « Société des Métaux » et perte de son patrimoine personnel.

Eugène Secrétan est ruiné et condamné à 6 mois de prison. Il rebondit malgré tout à Dive sur mer ou il crée la  « Société d’électrométallurgie de Dives » qui  introduit des techniques inédites comme la fabrication de laiton ou encore le laminage pour la fabrication de plaques en cuivre et le tréfilage pour la fabrication de fil de cuivre.

Pourquoi tout s’est arrêté en 1889 ?

La fermeture du Petit Poigny en 1889 correspond à la fois à la ruine de Secrétan et à la disparition des miroirs au mercure.

Il existait plusieurs inconvénients à cette production : les miroirs n’étaient plus compétitifs et de dimensions réduites ; mais surtout, elle causait la mort de nombreux miroitiers. En effet, le mercure étant un élément chimique à forte toxicité et dangerosité, les accidents mortels étaient fréquents et, soumis à ces vapeurs lors de la fabrication, la durée de vie moyenne d’un artisan miroitier dépassait rarement 10 ans d'activité.

Aussi dès la découverte d'une nouvelle technique, on interdit cette pratique. C'est en 1835 que Justus von Liebig (1803-1873) (autrichien) inventa le miroir à l’aluminium, un nouveau procédé non toxique qui consistait à pulvériser une fine couche d’argent ou d’aluminium sur une plaque de verre doublée d'étain afin d'accentuer le phénomène réflexif.

 

[1] Fabrication de l’étain en feuille Génie industriel volume 16 page 274

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