Naissance et développement de l'ordre de Grandmont entre 1030 et 1180

                       Naissance et extension de l’ordre de Grandmont en France jusqu'en 1180

L’ordre de Grandmont est un ordre monastique catholique originaire du Limousin fondé vers 1076 et dissous en 1772, répandu de l’Angleterre à l’Espagne. Issu de l’érémitisme tout en y mêlant des traits cénobitiques, l’ordre est caractérisé par sa règle et la diffusion de son modèle architectural, conforme à la réforme grégorienne.

Fondation

                                                                                

                                                                   Étienne de Muret et Hugues de La Certa, plaque de cuivre émaillé champlevé, Limoges (1189).

Etienne de Thiers

Fils aîné d’Etienne Guimard, vicomte de Thiers et son épouse Candide, Etienne serait né au château de cette ville vers 1045-1046. Son père l’aurait confié à l’âge de 12ans à Milon, doyen du chapitre de Paris qui l’aurait emmené à Rome, appelé en 1072 par le cardinal Hildebrand, conseiller du pape Alexandre II. En 1074, Milon, fut nommé archevêque de Bénévent et le jeune Etienne devenu diacre l’aurait accompagné dans cette ville. C’est là qu’il aurait entendu parler d’ermites (peut-être) qui vivaient dans la solitude et la prière ce qui l’aurait inspiré pour sa future vie ascétique. Revenu à Thiers pour visiter ses parentes en 1075, il apprit la mort de son protecteur à son retour en Italie en 1076. A Rome, Etienne aurait rencontré le pape Grégoire VII, l’ancien protecteur de Milon, pour obtenir son soutien dans son projet de vie érémitique. De retour en Auvergne, Etienne chercha alors un lieu pour y vivre l’Evangile dans la prière et la solitude d’un « désert  à l’exemple des ermites calabrais. Sa biographie mentionne qu’il aurait partagé un temps la vie de Saint Gaucher à Aureil près de Limoges avant de se retirer seul dans le bois de Muret.

La communauté d’Etienne de Muret

Selon la tradition, Etienne aurait vendu ses biens et distribués l’argent aux pauvres après la mort de ses parents. Il abandonna à son oncle Guillaume son titre de vicomte et ses droits de succession sur la baronnie de Thiers. Etienne se retira dans les bois du Muret près d’Ambazac au nord-est de Limoges. Le lieu était inhospitalier mais il était propice au recueillement et à la contemplation, tels que les recherchait Etienne. Il aurait passé sa première année seul au mi : lieu des bois, vivant dans une cabane où il couchait à même le sol, se nourrissant de fruits et buvant l’eau d’une fontaine voisine. Pour faire pénitence, il portait en permanence une « cilice », sorte de cotte de maille à même la peau sous sa robe de bure. Il fut rejoint par des disciples touchés par sa sainteté et sa vertu. Ils formèrent une petite communauté d’ermites où chacun vivait dans une cabane. Son enseignement de l’Evangile et sa charité dépassèrent vite les limites du bois de Muret si bien que les visiteurs affluèrent pour rencontrer le vénérable Etienne.

La communauté fit alors construire une église et des bâtiments pour se loger sur un terrain donné par le Seigneur de Rancon, Aemilius de Montcocu. L’église dédiée à Notre Dame fut consacrée par l’Evêque de Limoges le 10 septembre 1112.

La vie des frères était particulièrement austère, observant le silence absolu en dehors des offices, jeûnant très souvent et subsistant d’aumônes qu’ils allaient quérir auprès des paysans. Mais leur charité était grande car ils redistribuaient aux pauvres le peu qu’ils possédaient si bien qu’ils furent bientôt dénommés les « Bonshommes ». La réputation d’Etienne de Muret était si grande que les légats pontificaux, le cardinal Grégoire (élu pape en 1130 sous le nom d’Innocent II) et le cardinal Pierleone (le futur antipape Anaclète) vinrent le rencontrer à la fin de janvier 1124 et fut inhumé dans l‘église de Muret. Les religieux ayant perdu leur pasteur s’assemblèrent alors pour élire l’un d’eux comme nouveau prieur ; c’est Pierre de Limoges qui fut choisi.

                                                                                         Saint etienne de muret

                                                                                 Buste-reliquaire représentant saint Etienne de Muret  offert en 1496 par le cardinal Guillaume Briçonnet

                                                                                  à l'abbaye de Grandmont dont il fut le onzième abbé. Le chef en argent pourrait être attribué à un atelier toscan

                                                                                   ou proche de la Toscane. A la suite de la dissolution de l'ordre de Grandmont, le reliquaire fut attribué à la paroisse de Saint-Sylvestre.

Installation à Grandmont et croissance

                                                                              

                                                                  Châsse de saint Thomas de Cantorbéry, émail grandmontain (xiiie siècle), non localisé.

Quelques  mois après la mort d’Etienne de Muret, les moines bénédictins d’Ambazac, sans doute jaloux des succès spirituels de la communauté, tourmentèrent les frères avec l’aide d’habitants du voisinage qu’ils avaient montés contre eux. Les Bénédictines allèrent même jusqu’à prétendre que le terrain de Muret leur appartenait et menacèrent de chasser les religieux par la force.

Les frères de Muret, suivant ainsi les préceptes de leur maitre Etienne,  ne voulurent pas se lancer dans un procès à l’encontre d’une autre communauté religieuse et préférèrent s’en aller dans un autre lieu plus tranquille. Parcourant les monts d’Ambazac, les frères de Muret, guidés par la Providence qui leur avait indiqué Grandmont, y découvrirent un plateau granitique en plein bois, sur la paroisse de Saint Syslvestre. Le seigneur du lieu, Amélius de Montcocu, leur donna tout le terrain qui leur était nécessaire pour y installer leur communauté d’ermites.

En 1125, dès qu’un premier oratoire et des cellules furent construits à Grandmont, les frères de Muret, e,n cortège solennel, transportèrent le corps d’Etienne en ce nouveau lieu de prières.

Labbaye de grandmont

Installés à Grandmont sous la conduite de leur prieur Pierre de Limoges, les frères reçurent de nombreux privilèges et concessions de la part des seigneurs locaux. Ces libéralités leur permirent d’agrandir le monastère pour y recevoir davantage de frères. En outre des maisons annexes furent créées dans les environs.

                                                                                              

                                                                                          Entrée typique de la salle capitulaire du prieuré de Comberoumal (Aveyron).

Les premiers prieurs

A la mort de Pierre de Limoges en 1137, c’est Pierre de Saint Christophe qui lui succéda. Cet homme simple et doux passait son temps à prier en pleurant à chaude larme jusqu’à sa mort en 1139. Il fut remplacé par Etienne de Liciac élu le 6 juillet 1139. Le nouveau prieur de nature austère et très zélé pour la discipline ordinaire, s’employa à achever la construction du monastère et à mettre en place une règle de vie communautaire.

Il était très estimé par le pape Adrien IV qui fit l’éloge de sa communauté dans une bulle du 25 mars 1156, suite à un rapport très favorable des évêques de Cahors et de Limoges.

 

 

Une règle très austère

La règle de l’ordre  a été rédigée entre 1140 et 1150 par Hughes de Lacerta  sous la direction du 4ième prieur, Etienne de Liciac (1139-1163) selon les Enseignements et Sentences d’Etienne de Muret.

Vers 1107, quelques années après la première croisade, Hugues de La Certa part en pèlerinage à Jérusalem. Il y séjourne deux années. Revenu en France, il décide, à l'âge de 40 ans, de se consacrer à Dieu. Il rend visite alors à Étienne de Muret qui vient de fonder un ordre monastique en Limousin, près de Limoges, l’Ordre de Grandmont.

L'époque est, en effet, marquée par la fondation de plusieurs familles religieuses aux règles strictes qui deviennent les trois grands ordres monastiques du Moyen Âge : les grandmontains, les chartreux, fondés en 1084 par saint Bruno, et les cisterciens, fondés en 1098 par saint Robert de Molesme.

Dans un premier temps, du fait de sa noblesse, Étienne de Muret l'écarte, avant de l'admettre et d'en faire son premier disciple.

Hugues de La Certa qui a une mémoire prodigieuse rédige la règle de l'ordre des grandmontains, transmettant ainsi son idéal de vie et sa doctrine fondée sur l'Évangile. Il vit à la celle de La Plaigne (actuelle commune de Savignac-Lédrier en Dordogne), qu'il avait fondée en 1110 ou 1111, après la mort d'Étienne de Muret.

Il est enterré à l'"abbaye de Grandmont aujourdhui disparue.

.Cette règle fut approuvée et confirmée par le pape Adrien IV. En 65 articles, elle propose une vie monastique basée sur l’Evangile.

Ses grands principes sont les suivants :

  • l’obéissance à Dieu et au pasteur qui dirige la communauté ;
  • la vie dans la solitude d’un lieu retiré ;
  • la prière dans la contemplation et le détachement vis-à-vis des biens matériels ;
  • le refus des possessions de terres en dehors de l’enclos de chaque maison ;
  • le refus de toute fonction paroissiale ou évangélisatrice ;
  • le non tenu d’archives pour ne pas plaider en justice ;
  • la non possession de bétail ni de revenu agricole ;
  • l’accueil des pauvres avec bienfaisance, dans leur maison ;
  • le refus du service temporel.

La règle fixe les modalités de la vie communautaire. Les frères sont soumis à l’obligation du silence ; on leur enseigne comment acheter ou vendre un bien, emprunter ou prêter de l’argent, recevoir des dons, et distribuer l’aumône, nourriture et vêtements aux pauvres donner le soin aux malades, vieillards et infirmes.

La règle précise les conditions d’entrée dans l’ordre : avoir plus de 20 ans, n’être ni infirme, ni lépreux et avoir abandonné ses terres détenues à l’extérieur. En outre l’ordre ne recevra pas de femmes car « si la femme a attiré le premier homme loin des délices du paradis, qui donc pourra lui résister ailleurs? » Enfin la règle indique les charges incombant aux clercs qui seront « voués exclusivement aux louanges divines et à la contemplation… » tandis que les convers seront chargés du temporel afin de décharger les clercs « des soucis des choses extérieures ». Chaque maison grandmontaine sera administrée par un dispensateur choisi parmi les convers. Cette disposition allait provoquer plus tard de nombreuses crises dans l’Ordre entre clercs et convers.

Le Coutumier

Attesté par une bulle du pape Alexandre III de 1171 à 1172, le coutumier montre une évolution dans le fonctionnement des maisons par rapport à la règle primitive. Contrairement à celle-ci, c’est un clerc qui fera le correcteur de chaque maison. Il tiendra chaque jour le chapitre, fera la discipline pour tous les frères, clercs et convers, et aura autorité sur le dispensateur.

L’extension de l’ordre

Sous l’impulsion du 4ièmeprieur, Etienne de Liciac, l’ordre de Grandmont  est passé de 12maisons ou « celles » au début de son priorat à plus de 74 fondées à sa mort en 1163. Cedt essor était dû en particulier aux libéralités du roi d’Angletere, Henri II Plantagenet qui, ayant épousé en 1152 Aiénor d’Aquitaine, combla les Grandmontains de ses faveur à partir de 1157.

Avec le 5ième prieur, Pierre Bernard de Boschiat, de nouvelles fondations grandmontaines virent le jour en particulier grâce au roi de France, Louis VII le Jeune. A la fin de son priorat en 1170, on comptait 88 maisons de l’Ordre, dont la celle des Moulineaux.

Son successeur, Guillaume de Treignac (Trabinac), homme humble et dévot, n’hésita pas à protester vigoureusement auprès d’Henri II au début de 1171 lorsqu’il apprit sa responsabilité dans le meurtre de Thomas Becket, archevêque de Canterbury. Il lui écrivit ces mots :

A Henri roi d’Angleterre, gravement malade, surtout de l’âme, le frère Guillaume de Trabinac, prieur de votre Grandmont et pêcheur frappé d’épouvante : « salut en Celui qui donne la santé aux rois. Hélas, mon seigneur, que raconte-t-on de vous ? Je ne veux pas vous laisser ignorer que, du jour ou nous avons appris votre mortelle chute, nous avons renvoyé les ouvriers que votre piété avait chargé d’édifier l’église de votre maison de Grandmont, afin de n’avoir plus rien en commun de vous… ».

Les fondations grandmontaines approchaient la centaine et les reliques affluaient à Grandmont rendant le milieu de plus en plus attractif pour les pèlerins. Les papes successifs approuvèrent la règle de l’ordre et lui accordèrent à chaque fois de nombreux privilèges. Ainsi en 1183, le pape Lucius III l’exempte de la juridiction épiscopale et du paiement des dîmes. Mais déjà des nuages noirs s’annonçaient sur Grandmont. Ainsi, Henri le jeune, fils aîné d’Henri II Plantagenet, vint à Grandmont en 1183 et y pilla le trésor. Mal lui en prit car il mourut la même année. Ses entrailles furent enterrées à Grandmont dans un lieu appelé l’Angleterre.

Dénombrement des maisons et des effectifs de clercs à l'apogée du mouvement

A la fin du XIIIème siècle, l’ordre de Grandmont était organisé en France en 9 provinces ou nations :

  • province de France : 15 maisons avec 87 clercs
  • province de Bourgogne : 18 maisons avec 105 clercs
  • province de Normandie : 15 maisons avec 92 clercs
  • province d’Anjou : 16 maisons + 2 léproserie avec 100 clercs
  • province du Poitou : 20 maisons avec 99 clercs
  • province de Saintonge : 16 maisons avec 98 clercs,
  • province de Gascogne : 16 maisons avec 92 clercs
  • province de Provence : 13 maisons avec 66 clecs
  • province d’Auvergne : 15 maisons avec 68 clercs + chef d’Ordre à Grandmont avec 40 clercs
  • En outre, on comptait 2 maisons en Navarre avec 11 clercs et 3 maisons en Angleterre avec avec24 clercs, soit un total de 140 maisons de Grandmont avec 882 clercs.

                                                                                 Carte de grandmont fin xiii